Ma trans-pacifique

 

vers Te Henua Enana

 

(La Terre des Hommes)

Te Henua Enana, c’est le nom marquisien de cet archipel isolé au centre du Pacifique,

c’est aussi la destination que je me suis fixée pour accompagner ODOANA dans sa traversée de l’océan.

ODOANA est le bateau préparé par Daniel pour faire son tour du monde et on n’y embarque pas, on y est tout juste toléré, autrement dit, touristes s’abstenir et chevronnés la mettre en veilleuse !

Ainsi avons-nous réussi à nous faire admettre à son bord pour apporter le modeste soutien de quelques vieux bourlingueurs dans la trans-pacifique depuis Panama jusqu’à Tahiti (quelques 5000 milles à couvrir avec un nombre limité d’escales).

Un seul point de ralliement : Panama le 13 mars pour les 3 équipiers Jack, Alain et moi-même, Daniel ayant réussi à passer le canal par ses propres moyens.

Découverte d’un monde nouveau aux coutumes vénales, à la frontière des deux Amériques, les derniers préparatifs et avitaillements se font avec force dollars et pas mal de sueur.

Soulagement en quittant le bruit et les fumées de Balboa vers notre première destination : Contadora dans les Perlas, c’est un premier pas vers le grand océan qui nous attend.

Mise en service du dé-salinisateur sans lequel il nous eut fallu faire des sacrifices sur la consommation d’eau, check-list terminée et échange d’informations avec les 2 autres bateaux en partance.

Un bref soupçon d’alizés vient à l’aide de l’impatience générale en donnant l’ordre du départ pour la première vraie étape : les Iles Galapagos, situées à près de 1000 milles.

Une première semaine de navigation qui est réalisée plus au moteur qu’à la voile mais permet néanmoins de se familiariser avec toute la garde robe et surtout avec le double " tangonnage " très particulier de l’Amel.Santorin.

Nous quittons le golf de Panama au milieu du ballet incessant des pélicans semblable à des "rotations de Canadaires " pour celui des frégates, sternes, et autres grands voiliers marins.

Premières pêches aussi avec 2 thons qui vont commencer à remplir le compartiment des congelés en plus de nos assiettes avec une petite gâterie en sus : le poisson cru à la tahitienne, mais ce n’est là que le début de nos expérimentations culinaires.

La richesse de ces eaux va se confirmer tout au long de notre progression au fur et à mesure que nous pénétrons le courant de Humbolt qui remonte avec les eaux froides et poissonneuses d’Amérique de sud et va progressivement nous faire bénéficier d’un bon nœud de vitesse fond.

La lune dans sa phase pleine nous fait bénéficier d’une clarté nocturne qui va progressivement s’effacer pour nous laisser découvrir toute la richesse du ciel austral, tout au bout de la voie lactée, tandis que les passages de couverture nuageuses révèlent la profusion du plancton lumineux éclairant le sillage d’une lumière phosphorescente tout comme si la coque avait généré sa propre lumière.

Notre traversée s’organise progressivement au rythme des quarts tournants, nous laissant à tour de rôle jouir d’un spectacle diurne ou nocturne toujours renouvelé : au matin nous croisons 2 tortues de mer à la recherche de nourriture, plus tard, nous ramenons un thon de 5 Kg pour nos propre besoins, au soleil couchant le profil de Malpelo Ridge se découpe sur l’horizon.

A tour de rôle nous apportons nos connaissances culinaires afin de rendre plus attrayants les moments privilégiés des repas pris en commun dans le carré tandis que " Claude ", en bon barreur automatique se charge du reste.

Pour ma part je recherche la bonne formule qui va nous permettre de retrouver le goût du vrai pain de campagne après les inévitables " panadéros " et autres " tostadéros " en voie d ‘épuisement, mes premières tentatives de panification au moyen de jus de coco fermenté s’avèrent insatisfaisantes (pain " Bouigues ").

Heureusement le passage de la ligne, célébré au champagne français et chocolats de chez Léonidas comme il se doit, nous rappelle que la progression vers notre objectif se poursuit au mépris du manque de vent.

Au huitième jour, nous mouillons enfin en baie Wreck à San Christobal  après 962 milles alors que nous venions tout juste de toucher du vent et que la première coryphène avait emporté la ligne de Daniel.

Formalités d’entrée à la mode équatorienne avec force dollars et du vin français (modeste présent en tout bien tout honneur) qui devait se retrouver le lendemain sur les uniformes immaculés des autorités du port mais nous octroya un permis de séjour de 22 jours pour raisons d’avaries techniques : plus qu’il nous en fallait pour se refaire une santé.

Avitaillements en annexe au milieu des otaries, tournées de jerricanes à la station service, enfin de la bonne " levatura ", de la vraie levure de boulanger lyophilisée et une bouteille de gaz au standard américain qui allait, par les soins de Jack, se greffer sur l’installation par trop restreignante des recharges de " camping gaz international " paradoxalement limitées à la zone Europe.

Séances de courrier à 1 $ l’unité, rencontre avec Ross, l’américain en solitaire sur son 30 pieds, point de vue d’Alain et Rose Mai sur leurs expériences Amel pour la revue Voile et Voiliers, repas local à terre pour 5 $, cocktail à bord du Maramu de Pierre et Dom satisfait de notre assistance technique, nous étions prêts pour les formalités de sortie du territoire.

28 Mars à 7h, nous avons bouclé notre courte escale à l’archipel de Colomb et abandonnons nos compagnons de route (pélicans, otaries et autres équipages prolongeant leur séjour touristique) pour reprendre notre course à l’ouest vers notre destination marquisienne finale (planning tendu oblige !).

Derniers regards vers Santa Cruz, Isabella et les autres îles qui garderont le secret de leur bio-diversité de faune et de flore, nous plongeon vers un point infiniment éloigné sur l’écran de maxsea destiné à guider nos pas hésitants sur le grand océan au cas où nous perdrions le sud !.

Nous assistons impuissants à la mise à mort d’une daurade coryphène cible d’une orque affamée : dommage, nous aurions bien volontiers partagé son repas ! et nous nous remettons en pêche, faut bien partager.

Toujours pas de prise le soir venu et nous passons à la préparation d’un premier pétrissage, question de conjurer la " pétole " ! le quart de 4h permet de cuire la fournée sans trop souffrir de la chaleur…panification réussie, ne nous arrêtons pas là, un gâteau de maïs au coco complétera le repas du dimanche.

Exercice de mise à poste du balooner pour profiter de la moindre brise et recherche désespérée de zones un peu plus ventées au moyen de nos contacts par BLU, rien y fait ! même les FAX météo d’Honolulu nous confirment le peu de vélocité des alizés tant au nord qu’au sud, y’a pu qu’à pagayer ! par bonheur, la nouvelle lune nous fournit un moyen de s ‘initier aux constellations de l’hémisphère sud mettant un peu d’agrément aux nuits passées à veiller sur le bon fonctionnement du moteur et du pilote automatique, faute de s’affairer sur le voilure.

Enfin, le 3 Avril, une averse tropicale et l’arrivée d’un système nuageux nous octroie généreusement 15 nœuds de vent alors que nous passons les 3° de lattitude sud malheureusement, il nous faudra stopper pour réparer la chute du gênois disloquée par le battement dans la houle, qu’a cela ne tienne, il y a aussi de bonnes couturières à bord ! pas vrai Jack ?

Pour ce qui est de la pêche, ça va aller mieux aussi, on a pris un thazard de 17 Kg pour 1,3 m le poisson roi ! et tant mieux pour la petite coryphène d’à peine 1 Kg que nous avons rendue à sa liberté.

Le lendemain, friture de poissons volants et de poulpes jonchant le pont et re-thazard de 18 Kg pour 1,4 m qui finira en salaison faute de place, plus tard ce sera un thon qui marquera la réouverture de la pêche mais toujours pas de coryphène malgré mon acharnement à confectionner des leurres fort attrayants.

Nous attaquons les innovations : parmentier de thazard, civet de thazard chacun y va de sa recette, tout ça arrosé vin chilien et bien sure, nouvelle fournée de pain au levain à chaque fois pour faire bonne mesure.

Pendant ce temps, Claude trace la route et nous disposons de moments propices à la réflexion ‘seuls’ entre le disque mouvant de l’océan et la voûte céleste, François Deniau, Bernard Moitessier, Kersauzon et bien d’autres seront nos compagnons de route par leurs écrits tandis que le vent mollissait avec la pleine lune revenue.

Parfois, le capitaine se laissait aller à la mélancolie en passant quelques mélodies rapportées du Cap Vert, ce seront là ses seules faiblesses dont nous acceptions de bonne grâce les mélodies lancinantes aux accents peu familiers mais qui, avec l’habitude finissaient par servir de toile de fond aux " p’tits punch au rhum du Vénez ".

C’est au moteur que nous franchirons les derniers 400 milles nous séparant encore d’Hiva Oa, question de faire le plein d’eau, se doucher sans gaspiller, prendre un dernier baracuda de 7 Kg dont la consommation restera longtemps controversée, pour ma part savouré en toute confiance en raison de l’éloignement du lieu de sa prise avec toute zone susceptible de provoquer une contamination par la ciguatéra, seul, Jack en ressentira les effets mordants mais plus par le contact des dents acérées et coupantes comme des lames de rasoir que par une quelconque manifestation de la " gratte ".

Quelques baleines aperçues à bonne distance par le jet de vapeur de leurs évents, mais nulle trace de requins sur nos prises de mer, encore n’avons-nous jamais tenté de les provoquer par des bains en plein océan fut-ce à " l’abri " de deux perches flanquées à l’arrière du bateau.

Petit à petit, l’abondance des oiseaux de mer nous indique la proximité des terres que ne dément pas le système informatique de navigation, jeu vidéo préféré du capitaine " marin nomade ", c’est une chance !

Le 19 avril, nous serons enfin en vue d’Hiva Oa et 22 jours auront été nécessaires pour couvrir les quelque 3000 milles nous séparant des marquises, nous les aurons parcourus en totale autonomie, ce qui sous entend une gestion rigoureuse des ressources tant alimentaires qu’énergétiques du bord.

Hormis ces préoccupations de sécurité, le voyage ne présentait pas de difficulté technique majeure, mais comportait un intérêt de premier ordre vis à vis de la gestion des ressources humaines : répartition des rôles de l’équipage, élaboration des consignes, utilisation des compétences et de la complémentarité, incitation à la tolérance indispensable au maintien d’un bon équilibre humain.

La pêche aura été suffisante pour couvrir nos besoins en protéines fraîches mais la situation défavorable de la ZIC (Zone Intertropicale de Convergence) nous aura conduit à faire un usage plus prolongé du moteur que nous l’aurions souhaité, sans toutefois dépasser le quota des autres voiliers engagés dans la traversée avec qui nous entretenions des contacts radio par la BLU du bord (ça, c’est les impondérables, n’en déplaise aux pilot charts et aux instructions nautiques de Jimmy Cornwell).

Mes escales au Te Henua Enana (La Terre des Hommes)

Oublions un instant les statistiques, quotas, performances, gaspillages et autres casses-têtes de pays industrialisés, toutes ces futilités n’ont plus de raison d’être puisque sous nos yeux se profilent les pentes vertigineuses de la terre des hommes, celle là même pour laquelle nous avons entrepris cette traversée.

Laissons nous guider par leur majesté vers la baie Taahauku en laissant sur bâbord la roche qui protège la baie

d’Atuona…un feu à secteurs pour éviter les hauts fonds, on prend bien au centre en direction de la jetée, recherche du bon évitage au milieu des voiliers sur 2 ancres, parés à mouiller … mouillez… mets au moins 25m …manœuvres de mouillage arrière … ajustement de la position par rapport aux marques spéciales ça y est, on est rendus aux lointaines Marquises.

Lointaines, les Marquises le sont par la géographie à près de 8000 Km de Panama, 1500 Km de Tahiti, ces îles gardent un parfum de bout du monde.

Lointaines encore, dans leur différence culturelle : une histoire, un artisanat caractéristiques, une langue sensiblement différente du tahitien.

Furent-elles le berceau de la population mahori ?

Nous sommes enfin rendus au Henua Enana, la Terre des Hommes : fais entrer en toi la puissance qui se dégage des paysages, la force de la nature, laisse toi séduire par la gentillesse des habitants.

Le 19 / 04 : Hiva Oa "la longue poutre faîtière" (cliquer pour en savoir plus)

(traduction approximative des noms d'îles donnés par analogie avec leur apparence vue de la mer et toutes en rapport avec les étapes de la construction traditionnelle suivant la légende).

C’est donc à Hiva Oa, en baie de Taahauku, toute proche du village d’Atuona où reposent Gaughin et Brel que nous ferons notre première escale et les formalités de retour sur le territoire français après avoir contemplé toute une journée les escarpements majestueux de ces " montagnes sur la mer ".

C’est également à Hiva Oa que nous nous referons une santé après l’épreuve trans-océanique et débarrasserons la coque de sa lourde cargaison de pousse-pieds venus d’on ne sait où : c’est, paraît-il, comme ça qu’on reconnaît les bateaux qui ont réellement traversé le Pacific.

Ici, toutes les conditions sont réunies pour faire de cette première escale le lieu idéal pour la ré-adaptation des corps et des esprits à la vie terrestre ni trop chaud, ni trop humide, avec les plus grandioses paysages autour de toi, sans descendre du bateau, tu vois déjà les fleurs omniprésentes, tu respires les odeurs, sens la caresse de l’air.

Après une nuit sans la coupure des quarts, nous trouverons tout ce qui est nécessaire à la remise en état du bateau et de ses occupants : un mouillage bien abrité, relativement facile à prendre, des commodités rustiques mais essentielles à terre ainsi que la proximité d’Atuona rendu accessible par les services de Thierry gérant du Snack Kaupe : ce sympathique auvergnat qui a trouvé refuge et art de vivre aux marquises tient lieu d’office du tourisme, membre de l’Association de Voiliers de Polynésie, il t’informe de toutes les activités de l’île, met à ta disposition internet, repas du midi, assure le transport gratuit des équipages, la lessive séchée pliée, le salon de coiffure et te met en relation avec toute personne importante à connaître facile non ? pour le reste, à toi de jouer : tu trouves les denrées essentielles au magasin Paul Gaughin chez " le chinois ", une douche sommaire au quai et les voyage en 4 x 4 sont organisés par " pépé ", un descendant d’une lignée de chefs de tribu ayant fait des études ethnologiques sur la civilisation marquisienne qui t’apprendra tout ce que tu dois connaître pour bien comprendre les Marquises.

Nous ne resterons que 4 jours en baie de Taahauku non sans avoir rendu visite à Gaughin, Brel, Puamau, les tiki géants du Me’ae de Lipona, (le tout dans le désordre), fait provision de bonne humeur, de fruits et de légumes sans oublier un décrassage complet des bonshommes et de leur linge, plus sommaire pour ce qui est de la coque du bateau.

En effet, notre visite à l’agence locale d’air tahiti nous a permis d’élaborer la stratégie tendue de l’échelonnement des départs de manière à ce que chacun puisse profiter d’un maximum de notre séjour dans l’archipel.

 

Le 24/04 :Ua Huka : l'île aux chevaux (cliquer pour en savoir plus)

Etape suivante : l’île aux chevaux et aux sculpteurs est située à plus de 60 Miles, nous en raccourcirons la distance à 50 miles en empruntant la passe du bordelais et en mouillant en baie Hanamenu, au nord ouest d’Hiva Oa: c’est une baie sauvage gardée par une importante structure volcanique dans laquelle nous passerons une nuit au calme avant un départ très matinal.

Le lendemain, nous mouillons en baie d‘Ane sur un fond de sable où se rencontrent les raies manta, nous aurons toutefois des difficultés à y accoster autant qu’à en partir avec l’annexe en raison de la forte houle mais la visite du site archéologique et du me’ae perdu dans la forêt vaut bien le déplacement : une île quasiment inaccessible aux touriste où les gens te saluent au passage, les sculpteurs troquent volontiers leurs chef d’œuvre sur bois de rose contre du papier de verre, les mangues te tombent dans les bras, les ruisseaux regorgent de chevrettes et les chevaux sauvages viennent jusque sur la plage au soleil couchant.

Après une nouvelle incursion au village des sculpteurs de Iokatu , nous reprenons la mer en direction de la capitale, au passage, nous prendrons 2 bonites rayées de 2,5 Kg et un thon de 2 kg

Le 26/04 :Nuku Hiva: la capitale (cliquer pour en savoir plus)

 

Nous arriverons dans la vaste baie Taioha’e à Nuku Hiva en fin de journée peu de commerce sur cette île très administrative, et le week-end ne nous permettra pas de découvrir le monde caché des vallées ombragées de Nuku Hiva où dorment les vestiges de la plus ancienne culture polynésienne orientale : plateformes de tohua (habitations) et de me’ae (édifices sacrés) en pierre volcanique, vastes places de cérémonies et quelques tiki imposants dont le savoir-faire se serait propagé jusqu'à Hawai et même Rapa Nui (île de Pâques).

Notre passage sera simplement marqué par une visite de la plus richement décorée des églises catholiques appelée la cathédrale et ayant des airs de château fortifié, nous y découvrirons les œuvres sculptées sur bois par d’habiles marquisiens, l’extraordinaire animation qui règne au moment du culte et en sortirons avec la bénédiction de l’évêque ! voilà qui valait bien le détour.

Le 27/04 :Ua Pou: le trou du pilier (cliquer pour en savoir plus)

Quittons cette capitale par trop administrative abritée sous ses montagnes aux cascades monumentales pour rejoindre Ua Pou à la morphologie si particulière située au sud, juste en face et déjà visible, le vent est de la partie et nous permettra de faire notre première vraie daurade coryphène : une femelle de 13,5 Kg ce soir, mahi-mahi pour tout le monde ! merci au leurre et à la ligne de 90 Kg.

Surprise de taille en arrivant en baie d’Hakahu avec les magnifiques structures en " pain de sucre " (les necks) que laissent apparaître quelques déchirures dans les nuages, l’île est équipée d’une jetée qui nous protégera de la houle, nous mouillons avant et arrière devant le collège non sans avoir quelque peu cherché notre place, l’air est doux, une bonne nuit nous fera du bien.

Au matin, branle-bas de combat, les voisins déménagent et demandent de l’eau, manœuvres précipitées, perte du mouillage arrière, voilà qui est fâcheux et va nous retarder dans nos prévisions, tentatives de récupération avec le grappin de l’annexe sans succès, celui-ci ne présente aucune résistance et semble survoler le fond sableux, nous abandonnons les recherches pour nous consacrer aux achats de denrées et divers démarches que nous n’avions pu faire à Nuku Hiva en raison du week-end, Daniel prend contact avec l’Association des Voiliers de Polynésie pour tenter d’obtenir l’aide d’un plongeur, c’est convenu pour l’après-midi.

Retour au bateau, repas sommaire, Daniel est contrarié par son ancre gisant au fond de l’eau, je tente une localisation en apnée : une aiguille dans une meule de foin tant l’eau est chargée en particules soulevées par la houle, les 4 m de fond ne laissent entrevoir aucune trace.

Sur le coup de 15h, Jacques de l’A.V.P. vient aux nouvelles comment s’y prendre ? il va contacter Régis, le médecin plongeur qui s’occupera de nous vers 16h 30 et la nuit qui tombe à 18 h ça va faire court ! pas le choix tant pis pour le départ prévu à l’aube !.

Comme convenu, voilà notre régis avec tout son attirail qui prend place à bord de l’annexe : explications, suppositions plongée, replongée, toujours rien, changement de tactique bouteille masque, remorque au moteur puis à la rame, encore rien… balayage systématique du fond, et si on essayait un peu plus loin, entre les deux bateaux ? remorque, labourage du fond ça y est j’ai quelque chose ! la chaîne était là bien sagement où on l’avait laissée plus qu’à amarrer le bout, quel soulagement, tout le monde reprend sa respiration on remonte à bord pour une longue causerie amicale entre marins entrecoupée de rasades au ti punch notre sauveur est marseillais venu aux Marquises avec son bateau malheureusement séquestré par les douanes, il est grand amateur de voile et ravis de nous avoir dépannés et nous plus encore, en finale il n’acceptera pour dédommagement que le plaisir d’une soirée entre amis et une tranche de mahi-mahi c’est ça aussi la magie des marquises, merci à toi Régis.

Comme dans les comptes de fées, tout est bien qui finit bien, nous serons debout à 5h, passerons chez le boulanger pour une fournée de pain français commandée la veille, histoire de reposer un peu le four du bateau et en route pour Hiva Oa, îlot Tahuata…non ce sera re Ua Huka, tant pis pour les langoustes de Tahuata (cliquer pour en savoir plus) ainsi en a décidé le vent forcissant et tournant et nous mouillerons en baie Haavei pour changer : un magnifique village de comptes pour enfants avec son château de la belle au bois dormant occupe le fond de la baie, heureusement accessible aux seuls bons nageurs à cause des rouleaux, il apparaît vidé de tous ses habitants, pas trace d’âme qui vive à part les poules qui continuent leur manège dans la cocoteraie comme si de rien n’était une vision exclusive, presque lunaire pas la moindre trace de pas dans le sable, je reprends mes palmes et retourne au bateau seul entre les murailles volcaniques où on croit distinguer quelques chèvres perchées sur les pitons et où nichent les hirondelles de mer.

30 avril, à l’aube d’une nuit bercée par la houle et le bruit du ressac, nouveau départ vers Hiva Oa c’est le bon cette fois-ci car le vent n’a ni faibli, ni tourné nous atteindrons la baie Taahauku dans l’après midi en ayant fait provision de 2 bonites rayées généreusement offertes par la mer. Tentative d’échange auprès du commerce local sans succès ils ont tout ce qu’il faut… qu’à cela ne tienne vendons les sur la voie publique comme j’avais vu faire à Tahiti ça a l’air d’amuser tout le monde un " popa " qui vend du poisson et même que ça intéresse un local dans son 4 x 4 avec toute la famille sur le pick-up combien tu en veux ? disons que le prix est de l’ordre de 350 CP au Kilo, y’en a près de 6 kg mais je te le fais au prix que tu veux, c’est pour ne pas le perdre n’as-tu pas des fruits en échange ? tiens je n’ai que 1000 CP, mais je reviendrai demain avec des fruits je suis Zac, le frère de pépé …c’est d’accord tu n’as qu’à les laisser chez Thierry !

Premier mai tout le commerce fonctionne le matin nous complétons nos avitaillements puis repas chez Thierry tiens tu n’as pas de nouvelles de mes fruits ? attend , je le connais, je vais lui passer un coup de fil !… c’est arrangé, il était occupé ce matin et il passera demain au bateau.

Demain, c’est déjà le départ d’Alain, tu peux lui commander un taxi pour l’aéroport ?… Taxi ? ah oui, je m’en occupe, c’est pour quelle heure ?

C’est pas le tout, nous avons affaire à bord, y’a des vidanges qui attendent tu peux nous raccompagner ? … j’attends ma femme, on y va dès qu’elle sera rentrée… vous avez vu l’exposition Gauguin pour le centenaire de sa mort ?… oui, c’est une reconstitution parfaite de la maison du jouir, dire qu’il ne restait que le puits… les premières toiles sont arrivées du musée de Tahiti, ça va être une belle fête avec les danses…on sera malheureusement en route vers Rangiroa …on aura quand même vu l’essentiel et de toute façon, pas de regrets ça risque d’être un peu juste quand tous les bateaux seront arrivés t’imagine, plus de 25 voiliers dans ce mouillage ? gardons une image sereine… on se console comme on peut !.

De retour sur ODOANA faut préparer l’uru (fruit de l’arbre à pain) à la béchamel et mettre un peu d’ordre pour la soirée d’adieu car nombre de nos amis marins nous ont rejoints : il y a la Alain et Rose Mai sur leur santorin flambant neuf… t’es passé à l’éléphant bleu ? fallait bien, y’avait une séance de photo avec les journalistes…et même Ross, l’américain sur son petit rafiot Hy Ross how are you ?…fine ! j’ai plus de foc (explode in the wind) ….my mast plugs in through the roof due to the swell…no problem, we ‘v fix it avec mes friends south african…ça tiendra to reatch Thahiti …quelle santé ce Ross….et toi Henri, t’as fait bonne pêche je vois que tu as ramené un trophée ? …oui, c’est la queue d’un marlin de 2,5 mètres on en a tout juste mangé un filet, ça faisait trop pour trois !

Le lendemain à l’aube, c’est une séparation déchirante, Alain fait les 100 pas sur le quai … toujours pas de taxi ?

…toujours pas….t’en fais pas, on va bien trouver quelqu’un pour t’emmener….c’est vrai qu’il est déjà 8h et l’embarquement à 8h30….bonjour, tu passerais pas par l’aéroport ?…et toi ? tu ne vas pas laisser notre copain rater son avion …et c’est la que la mama sort de son 4x4 ….c’est toi qui as demandé un taxi pour l’aéroport ? mets tes bagages dans le pick-up, pas de problème on y sera a ton avion !

2 mai : changement d’organisation faut préparer la suite avec 1 équipier de moins : avitaillements en conséquence, préparation du bateau, plein du gas-oil à la station, douche à quai …et sur le coup de 16h voilà Zac avec son 4x4, des fruits plein le pick-up …tout ça Zac ? t’es vraiment sympa dommage que nous partions demain on a encore tant à découvrir !… si vous revenez, faut pas aller à l’hôtel, on n’y connaît rien des marquisiens … tu viens chez moi, tiens voilà mon adresse…ce ne sont sûrement pas des mots en l’air…accueillantes Marquises !

Le 3 mai : Fatu Iva la couverture (cliquer pour en savoir plus)

 

Achèvement de la couverture de cocotier et dernière étape marquisienne avec Fatu Iva: départ avec 25 nœuds de vent et mer formée, une fois n’est pas coutume ! doublons Tahuata, puis l’îlot Motane mer trop forte pour pêcher, heureusement que j’avais préparé du pain la veille par précaution !

Enfin, c’est l’émerveillement final au fur et à mesure que nous progressons vers ce joyau des Marquises qu’est la baie Hanavave (la baie des vierges) à Fatu Iva la sauvage, et nous y mouillerons par 20 mètres de fond sur 50 m de chaîne et 50m de câblot préparés la veille à cette attention car et c’est la son point faible, pas d’autre issue que le mouillage profond mais solide (les pointes à 40 nœuds venues des montages sont là pour rappeler au marin que ces rivages se méritent).

Moteur arrêté, plus un mot à bord, chacun retient son souffle devant les piliers évoquant par leur forme autant de vierges, tantôt baignées d’or par les effets du soleil couchant, tantôt argentées de grains passagers ou couronnées d’arcs en ciel sur un fond de pics vertigineux et d’entailles profondes aux parois verticales comme des murs sur lesquels s’accroche un verdure luxuriante dans un bain de brume arrivant par flocons des sommets escarpés eux mêmes prisonniers d’une épaisse couronne nuageuse, si ce n’est pas l’éden çà ne peut que lui ressembler !

A quoi bon mitrailler un pareil paysage avec nos pauvres instantanés 24 x36, 10 rouleaux n’y suffiraient pas car chaque seconde présente un spectacle différent que l’œil suffit à peine à saisir…tant de beautés en même temps ne peuvent que susciter le respect et l’admiration des modestes marins que nous sommes.

Quelles surprises peut donc encore nous réserver un tel paradis, nous en saurons plus demain en tentant une virée à terre en attendant reposons nous et jouissons du spectacle !

Trop beau pour durer, c’était sans compter avec les velléités de notre voisin british : situé sensiblement sur le même rayon d’évitage mais beaucoup véloce avec sa coque arrondie, il était devant, il était derrière, sur bâbord, sur tribord il était partout ! tant pis pour notre belle nuit de récupération, il fallait se rendre à l’évidence, quart de mouillage pour tout le monde bien nous en prit puisqu’il fallut déborder en pleine nuit …le seul bateau à tirer des bords au mouillage malgré les efforts de son propriétaire à maîtriser la bête et c’était pour nous !… et puis, au petit matin, il s’en fut , comme si rien ne s’était passé.

Ca y est, tout est rentré dans l’ordre, on est dimanche matin et nous nous dirigeons à 3 dans l’annexe, aussi " discrètement " que possible, vers la côte et ce qu’elle nous réserve de surprises : d’abord un gentil petit port bien aménagé pour les navettes (tient, on dirait qu’ils ont reçu des crédits de l’assemblée territoriale !) puis, plus rien du tout, quelques pirogues abandonnées sur la plage, un robinet qui crache de l’eau, la sempiternelle antenne relais TV et c’est tout, le reste n’est que baraquements de contre-plaqué marine gentiment alignés le long d’une rue principale et unique au milieu d’une profusion de fleurs et de fruits, c’est bien l’éden, seuls quelques chiens occupent le village : tout le monde est à la messe en plein air devant la toute petite église dont le clocher sert de point d’amère (il ressemble à un phare) Daniel se doit de faire ses dévotions tandis que Jack procède à quelques ablutions sur le quai…j’en profite pour m’éclipser discrètement pour une reconnaissance des lieux.

Une vallée encaissée s’enfonce en arc de cercle entre les cratères monumentaux dont les sommets se perdent dans les nuages, une vraie vallée perdue où le temps semble s’être arrêté et où fleurit et fructifie tout ce que la terre semble avoir produit de végétaux consommables…je me baisse et ramasse une mangue à manger sur place, à pleine dents tant elle est mûre à point… l’eau d’un torrent permet aussitôt de se faire un brin de toilette…un peu plus loin, je fais provision de citrons jonchant le sol, parfumés et garantis sans thiabendazol phényl phénol… rien qu’à l’odeur, je pense déjà à la confiture que ça va faire… tient, une touffe de basilic arborescent, quelques brins agrémenteront toujours les pâtes du capitaine…je n’en peux plus, tant de trésors rassemblés, ça ne peut pas exister !… une vahine me présente un sac plein de toutes ces richesses, à échanger contre ce que je voudrai, surtout des produits manufacturés introuvables sur l’île… je décline l’offre pour l’instant, mon sac est déjà plein… peut être repasserons-nous plus tard… nana (ça veut dire au-revoir facile non ?).

Je rejoins mes compagnons de route à la fin de la messe, question de voir un peu la tête des gens du village et c’est des Kia’Ora (bonjour, bienvenue) de tout ce village endimanché on entreprend une mamie qui nous raconte sa vie sur l’île, son tane (mari) venu de l’autre côté de la montagne et tous ses enfants installés sur l’île, dont certains sont déjà mariés… son jardin regorge de tous les fruits … non nous ne prendrons pas tes pamplemousses, tu fais des prix pour les américains et nous sommes français.

Sur le retour, ce sont des fillettes qui viennent à notre rencontre : what’s your name ?… How old are you ?… What’s your boat ? … on se prête au jeu en précisant qu’on parle aussi français, qu’on n’est pas américains et prêts à faire du troc… elles nous remettent des sacs de fruits free of charge, commandent une corde pour l’âne de la mémé et nous prenons rendez vous pour l’après midi.

Trouvé un vieux bout de 15m à bord, quelques fournitures de bureau et quelques friandises pour faire bonne mesure et nous en reviendrons avec 10 cuisses de poulet et des uru avec la gratitude de tout ce gentil monde.

On aurait tellement aimé faire plus, mais comment imaginer à quel point on pouvait manquer des choses si ordinaires dans un pareil paradis ! nana, nous reviendrons.

Trop de découvertes en peu de temps, trop fatigués par la nuit de veille pour profiter des danses qui se dérouleront jusqu’à une heure avancée de la nuit dans le cadre du festival Gauguin nous nous écroulerons en pensant à la traversée vers les Tuamotu qui nous attend dès le lendemain.

Lundi 5 mai à 6h, nous relevons les 100m de mouillage qui nous rattachent encore à la terre des hommes et que nous quittons sans mot dire, sur la pointe des pieds de peur de réveiller ce monde endormi à l’abri des trépidations de la vie de sauvages que nous allons retrouver.

Ce sera la plus belle image que je conserverai précieusement dans l’attente d’un retour, sait-on jamais ?

Odoana poursuit sa route, au moteur comme il se doit, la pétole nous a rejoint et ne nous lâchera pas au cours des 5 jours que durera la traversée vers Rangiroa où nous nous présenterons à l’heure sus-dite devant la passe de Tipua pour mouiller devant l’hôtel Kia’Ora (avec un nom de reviens-y !)… que les atolls me paraissent soudain plats et dépouillés et moi qui m’étais promis de revenir aux Tuamotu… domage que le temps soit compté, on aurait bien fait une escale à Ahe (l’atoll préféré de Bernard Moitessier) ou Manihi le paradis des perles noires que nous avons laissé à bonne distance pour ne pas être tentés…. Tout juste avons nous croisé le Paul Gauguin faisant route vers Hiva Oa avec 1 millier de touristes à son bord, fêtes du centenaire oblige ! mais auront-ils autant de chances que nous ?

Le 11 mai, déjà je laisse Odoana entre les mains de Daniel et Jack pour la dernière étape vers Tahiti (à peine 2 jours et une nuit de navigation sans difficultés majeures) ça ne devrait pas poser de problème à un pareil équipage.

Je rejoins l’aérodrome d’Avaturu (il y a toujours une bonne âme pour te véhiculer dans ce pays) à peine 1 heure de vol jusqu’à Papeete et je foule avec nostalgie les quai du port ou je m’étais promis de nombreuses fois de revenir; voilà qui est fait… tiens, où vont-ils ces deux là avec leur vélo chargé à craquer ?… salut, tu fais la polynésie à vélo, comment ça se passe ?…. pour nous, c’est le bonheur, partout où tu vas, tu es reçu comme un prince, ça fait trois mois qu’on a quitté le Québec pour faire la ceinture des volcans du Pacific et on n’a jamais été aussi bien reçu, on part ce soir pour le Vénézuéla… allez à plus !

Je voulais profiter jusqu’au bout de ce bien être au cœur d’un des plus fabuleux terrains d’aventure qu’il soit permis de rencontrer et me dirigeais à pied et sac sur le dos vers l’aéroport international de Faa en longeant la corniche : derniers rayons de soleil sur Moorea , dernières senteurs de tiare, de frangipaniers, Ia Orana la nuit tropicale tombe vite, je flâne en traversant les quartiers autrefois considérés comme les moins sûrs de l’île où s’allument les feu des marchands ambulants de brochettes de chien, je me sens bien, plus en sécurité qu’en plein Paris Ia Orana !… un petit en-cas pour écouler les derniers CP : qu’est-ce que tu as pour 750 CP ? … tu ne prends pas les euros ? ni les dollars ? … OK, va pour un poulet frites, mais sans chien jaune.

22h aéroport de FAA c’est l’effervescence à l’heure des départs pour tous les longs courriers,… tiens une nouvelle boutique qui présente un remarquable assortiment de plantes tropicales…. Salut, t’étais pas là y’a 10 ans ?…non j’ai quitté l’industrie des cosmétiques pour me consacrer à faire l’inventaire de l’extraordinaire richesse de la flore polynésienne tiens regarde cette planche sur les uru, c’est moi qui la produit y’a pas moins de 10 espèces différentes avec des saveurs particulières et regardes les feuilles, tu vois la différence… et les hibiscus, on ne sait même pas les dénombrer tant il y en a … faut venir me voir au jardin de Mataoa à Papara au PK 34,5… avec plaisir, allez salut Alain, à un de ces 4, faut que j’enregistre !

Je prends la file, déjà bien chargée du vol Papeete Roissy CDG via Los Angeles la tête encore pleine de cette merveilleuse agitation aux parfums de tiare de tous ces colliers de fleurs quand je vois rappliquer mes deux routards canadiens … tiens te voilà ! … oué, mon vol n’est qu’à 0h30, on peut encore flâner…je te souhaite bonne continuation …. A toué aussi salut mon gars…bonne chance !